Par Rachid Hamoudi
Texte inspiré par deux
endroits qui ont façonné ma sensibilité. L’un est celui ou je suis né et
l’autre est juste derrière, de l’autre coté de la montagne.
Fleurs de rochers
Longtemps, la pierre enfouie sous un immense amas de
détritus demeura invisible. Notre terre est ainsi faite. Il faut souvent des
mains fouineuses et parfois l’acharnement de laboureurs ou de conducteurs
d’excavatrices pour connaitre ce qu’elle cache et recèle. Elle se révèle à ceux
que ne rebute pas son aspect ingrat et ne cède qu’aux assauts d’hommes patients
et tenaces. Elle n’est en rien semblable à la couche grasse qui recouvre les
plaines étroites que nous contemplons au loin, du coté de la mer.
Vers tous les autres horizons, le regard embrasse une
succession de ravins et de collines parsemés d’épineux.
Quand elle rencontre des obstacles, la terre se contente de
remplir le vide entre deux rochers ou s’accroche à d’inaccessibles sommets,
petites mottes penchées vertigineusement sur des rivières et des ravins. Nos
parcelles de terre se couvrent partout de pierres et les frêles marguerites et
coquelicots sont aussi rares que figuiers dans le désert.
Quand elles poussent au début du printemps, les chèvres qui
affectionnent les terrains accidentés arrachent corolles et tiges. Nous avons
pourtant ces fleurs qu’aucun coup de langue ne peut sectionner ou couper. Elles
poussent tout en haut des rochers, dans des anfractuosités. Hors de portée et
protégées des coups de pieds rageurs et des passants « ces fleurs de rochers »
sont le symbole des amours impossibles.
A force de procéder à des partages, les lopins qui faisaient
la fierté de quelques riches familles ont fini par prendre les dimensions de
modestes potagers.
La pierraille est l’unique trésor que la terre octroie au
paysan. Il peut, à défaut d’attendre des récoltes abondantes vendre celle-ci.
Des camions venaient de loin pour charger des amas de pierres visibles sur les
bordures de toutes les routes. Taillées, elles orneront les murailles et les
façades de grandes villas bâties aux alentours ou dans des villes lointaines.
De formes plus grossières, elles servent à construire nos maisons moins cossues
et des murets qui délimitent nos jardinets. Eté comme hiver, des pères de
famille déterrent des rocs qu’ils s’échinent à réduire en fragments.
Ces hommes sont souvent forts ; à force de manier masses et
marteaux. Etrangement, ils se fanaient comme les fleurs du printemps. Ils ne
vivaient jamais longtemps. A la vigueur succédait subitement un état de
faiblesse qui se muait vite en dépérissement. Est-ce pour la quantité de
poussière avalée que la plupart meurent de cette maladie que nous désignions
comme celle des casseurs ?
Personne ne parlait
encore de silicose, ce mal qui nous vaut maintenant de fréquentes visites
d’associations et de médecins.
On en voit partout, des tas
de pierres informes que personne ne surveille. C’est de ce commerce immémorial
que le village a tiré son nom berbère. Tala Bouzrou, la fontaine des rochers.
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